Une chasse à Trévarez en 1844 (Finistère)

" La grande journée celle qui fera époque dans les souvenirs du pays... c'est celle où est tombé sous nos balles un énorme sanglier, fameux par les moissons qu'il avait ravagées, et devenu comme celui de Galydon l'effroi du pays.La meute se composait de soixante chiens d'élite... La veille, le mardi 18 octobre deux sangliers, un solitaire et une bête de suite avaient été rambuchés dans marais de la Reine. Six chiens de différentes meutes furent découplés vers onze heures et lancèrent le vieux sanglier. Le vent était affreux, la pluie tombait par intervalle, l'ouragan grondait à travers la rnontagne, courbait la cime des vieux chênes et sifflait dans les rochers. Un seul chien, le fameux Ronflo garda la piste malgré la tempête.... Le sanglier se fit battre d'abord franchement, mais à l'approche de la nuit, il résolut de se défendre, fit plusieurs fois tête aux chiens, en moins d'une demi-heure, en blessa grièvement six. La nuit empêcha les chasseurs de les secourir.

 Il fallut remettre la partie au lendemain... Tout à coup Ronflo tenu au trait se détourne brusquement et empaume chaudement une voie. Tandis que ces Messieurs cherchaient à reconnaître le sanglier de la veille, l'énorme calydonien qui n'était qu'à quelques pas s'élance sur le chien, le fait voler en l'air, en lui déchirant la cuisse d'un coup de boutoir, et s'avançant rapidement sur les chasseurs, les force à chercher leur salut dans une prompte fuite. Ces messieurs vinrent faire le rapport et on découpla trente chiens sur la brisée sanglante. L'animal partit avec peine....Bientôt il rentra brusquement dans Laz. A cet instant un relais de quinze chiens lui fut donné. Ce fut le beau moment de la chasse. Dans une vaste lande parsemée de taillis, l'énorme sanglier, suivi de la meute bruyante et acharnée. Les piqueurs sonnant le bien-aller et vingt chasseurs à cheval lancés au galop, formaient un spectacle magnifique et imposant.Mais malgré tout ce bruit de chiens, de cors, de cris, malgré l'assistance des chasseurs, le sanglier trouvait encore moyen de se retourner de temps en temps et de repousser les chiens les plus avancés... L'agonie du monstre fut terrible. Il éventra les premiers chiens qui se précipitèrent sur lui. Enfin tous les chasseurs arrivèrent et on mit fin à sa fureur. Ce sanglier, un des plus beaux que l'on ait vu en Bretagne depuis longtemps pesait près de 200 kilogrammes. Je ne terminerai pas le compte-rendu de cette brillante journée, sans dire un mot de la fête champêtre qui a couronné dignement le sport de Trévarez, pendant les huit jours de folle vie, à laquelle l'hospitalité gracieuse de M. Michel d'Amphernet de Pontbellanger avait convié ses amis. Toutes les communes environnantes avaient été prévenues qu'une fête bretonne aurait lieu dans les avenues de l'antique château de Trévarez; aussi, dès le matin, les bardes rustiques avec le biniou et le hautbois étaient à leurs postes; les campagnards arrivaient en foule, ornés des habillements de fête qui distinguent chaque paroisse.

On commença par les courses de chevaux. Deux prix étaient destinés aux courses au galop. Vous connaissez, chers lecteurs, ces luttes curieuses sans lesquelles il n'y a pas de belle fête pour un breton et qui ont lieu à travers les chemins montueux, pierreux, dévastés au milieu des applaudissements de l'assistance. On remarquait à celle-ci plusieurs jolis chevaux provenant des étalons de Langonnet..

Après la course qui avait lieu sur le chemin de Châteauneuf; on revint dans la grande prairie, où devaient avoir lieu les courses à pied; la vingtaine jeunes garçons à large poitrine et au jarret de fer, la longue chevelure ramenée sur le front, furent placés sur un seul rang. La distance était de mille mètres. . .Cependant une arène se disposait... Ces préparatifs annonçaient les luttes. On vit bientôt entrer dans la lice, d'abord de jeunes enfants, qui s'essayaient dans la science du lamb et du costin; puis des jeunes gens connus déjà par leur habileté, enfin parurent les héros renommés par de nombreuses victoires et qui étaient venus exprès de Gourin...

La journée finie par des danses nationales que la nuit vint trop tôt interrompre, et le son du biniou fit encore longtemps après retentir de ses accents animés les sombres échos des vallées de l'Aulne."

  (Extrait du Journal des Haras, 1844.)

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